Manageur embarqué au management augmenté
Récemment (si l’on peut dire), j’ai écrit cinq articles sur l’impact de l’IA dans les organisations, sur l’employé augmenté, mais rien sur le management augmenté que vous trouverez sur ce blog ou mon linkeding.
Ce petit article a pour objectif de compléter ce point en mettant en perspective l’évolution du management avec l’intégration de l’IA : on parle alors de management augmenté.
« L’intelligence artificielle est-elle une transformation de plus dans un univers entrepreneurial en mutation ? » À mon avis, il s’agit plutôt d’une révolution dont l’impact se fera de plus en plus sentir dans les entreprises, mais aussi sur la manière dont les entreprises et les ressources humaines seront gérées.
Je donnerai un peu plus tard un exemple concret de cette gestion.
Depuis trois ou quatre ans, cette technologie commence à s’intégrer dans les entreprises, dans des secteurs de plus en plus ciblés, afin de fournir une aide à la décision. Des algorithmes intelligents interviennent désormais dans des conseils d’administration pour orienter les décisions des exécutifs (1).
Plus qu’une adoption progressive de l’intelligence artificielle, celle-ci entraîne le manager avec elle au fil du temps et transforme la manière dont l’individu interprète le monde, et donc les fondements mêmes de ses décisions.
L’humain augmenté devient progressivement partie intégrante de l’entreprise, connecté par un implant aux outils de son travail ou à son environnement.
Du manager embarqué vers le manager augmenté.
Les individus peuvent avoir différentes missions : à prédominance humaine (management, collaboration), créative (innovation, recherche), administrative (comptabilité, secrétariat), opérationnelle (exécution, maintenance), éducative (formation), exécutive (gouvernance, prise de décision). Les technologies ou les algorithmes d’IA nécessaires pour augmenter l’individu diffèrent selon le focus de la tâche.
Même si l’intelligence artificielle ne permet pas encore une approche aussi ouverte et synthétique qu’un manager, elle peut proposer des aides à la décision sur des points très précis, des solutions originales, ou encore réaliser des tâches administratives programmables.
On parlera donc davantage de l’IA comme d’une assistante augmentée.
Ces fonctions assistent le manager dans ses tâches quotidiennes, l’inscrivant dans une dynamique qui l’obligera, à terme, à travailler pleinement avec l’IA, ce qui aura un impact direct sur ses capacités cognitives.
On assiste ainsi à un déplacement de la sphère d’action du manager, où lui et l’IA devront trouver une complémentarité, donnant naissance au manager augmenté, et par extension au management augmenté.
L’hybridation entre IA et humain place le manager entre le marteau et l’enclume. Il n’aura d’autre choix que d’accompagner cette évolution, sous peine de ne plus être en adéquation avec le marché du travail. C’est une transformation, donc une évolution, qu’il faut accepter comme telle.
Les managers devront se transformer. Pour intégrer ce changement, il faudra communiquer, former, acculturer, échanger durant cette phase de transition, afin de comprendre les mécanismes et tous les impacts.
Augmenter la compétitivité managériale via l’IA
Future Workplace a établi qu’en 2019, le nombre de nouveaux travailleurs utilisant l’IA d’une manière ou d’une autre a augmenté de 18 % (3). Ce cabinet spécialisé dans la formation des cadres indique également que d’ici 2031, 80 % des nouveaux postes créés nécessiteront une bonne connaissance de l’IA, et que les entreprises feront face à une pénurie de main-d’œuvre dans ce domaine (4).
Pour rester compétitives, les entreprises cherchent toujours à optimiser la valeur ajoutée des processus, des modes d’organisation, des méthodes de travail. L’IA offre un levier en ce sens, où l’éthique peut parfois être reléguée au second plan, jusqu’à ce qu’une remise en question survienne ou qu’éclatent des conflits.
Amazon : un exemple à interroger ?
Amazon est un chef de file en matière d’intégration de l’IA dans la gestion des processus, l’optimisation des méthodes de travail, mais aussi dans l’évaluation des employés, où l’IA peut prendre des décisions sur l’avenir professionnel d’un individu.
L’agence Bloomberg (2) a réalisé une enquête sur l’automatisation des ressources humaines dans le cadre du programme de livraison Flex d’Amazon. Elle met en lumière certaines dérives du management automatisé.
Cette enquête évoque le licenciement de chauffeurs du programme Amazon Flex par des algorithmes, dans le but d’assurer les livraisons rapides de son service Prime Now.
Embauches, rapports de performance, licenciements : autant de décisions liées aux ressources humaines, prises de manière presque totalement automatique, sur la base d’algorithmes.
Le tout est intégré à une application mobile qui calcule la durée du travail, les horaires de livraison, le nombre de colis livrés, les incidents rencontrés…
Le système compile aussi de nombreuses notations concernant la ponctualité des chauffeurs, leur temps moyen entre deux livraisons, la satisfaction des clients, jusqu’à l’état des cartons à l’arrivée.
Toutes ces données sont gérées par une IA qui attribue des scores positifs ou négatifs aux employés et prend des décisions.
Mais cette approche de rationalisation du travail, de gestion de la performance et de la qualité, a ses limites.
Une livreuse, sans manquement significatif, a vu sa notation chuter après avoir dû retourner à l’entrepôt en raison d’une crevaison. Malgré ses efforts pour retrouver une note correcte (elle était remontée au statut “super”, juste en dessous du niveau “fantastique”), le système l’a licenciée pour “violation des conditions de service”. Son recours a été rejeté par Amazon.
Autre exemple : les chauffeurs doivent régulièrement prendre des selfies pour confirmer l’évolution de la livraison. S’ils ne sont pas conformes aux standards définis, le salarié peut être licencié.
Ces éléments illustrent l’usage de l’IA dans une application opérationnelle réelle, où le manager délègue sa gestion à un outil basé sur des algorithmes prédéfinis.
Ces algorithmes sont incapables de gérer toutes les situations rencontrées par un employé augmenté au quotidien, et sanctionnent rapidement. Le manager augmenté se concentre alors sur l’analyse quantitative, négligeant l’analyse qualitative, et fait abstraction de la réalité du terrain et des capacités cognitives des employés.
Le focus est uniquement mis sur la qualité et la satisfaction client, dans l’esprit pur de son fondateur, Jeffrey Bezos.
Dans ce cadre, on observe une transformation organisationnelle et une mutation de l’évaluation des salariés et du rôle du manager. Le manager augmenté peut obtenir un ROI rapide dans son domaine, mais sans une analyse approfondie des conséquences, l’impact peut être catastrophique pour les opérationnels.
Le manager augmenté devra donc concilier les résultats de l’IA avec une analyse humaine objective, identifier les biais et mettre en place les corrections nécessaires pour optimiser productivité et coordination homme-machine.
Cette transformation du manager, situé à la frontière entre technologie et management, implique aussi une remise en question de la gouvernance de l’entreprise.
Conclusion
L’IA introduit le management phygital, avec une capacité à travailler où l’on veut, quand on veut, avec des outils variés, tout en révélant de nouveaux modes de management, d’organisation et de pratiques.
L’IA permet de rendre l’organisation plus performante, mais aussi chaque employé augmenté plus efficace dans sa tâche. Cette promesse soulève de nouvelles questions éthiques : transparence, évaluation, relation entre concepteurs et utilisateurs des technologies, rapport des employés à leur entreprise et à leur travail.
Un nouveau millénaire s’ouvre, où chaque entreprise devra inventer sa manière d’utiliser l’IA, construire une éthique, une culture, une organisation. L’apprentissage sera lent, l’évolution jalonnée d’obstacles.
Une analyse, conseil, n’hésitez pas à me contacter
Sources :
(1)Voir BBC News, « Algorithm appointed board director »,
(2)Boomberg – https://www.bloomberg.com/news/features/2021-06-28/fired-by-bot-amazon-turns-to-machine-manageurs-and-workers-are-losing-ou
(3) Deloitte Canada : Impératif de perfectionnement Comment faire entrer ses équipes dans l’ère de l’IA : 2020
(4) Caroline Monahan, « The problem with AI: When hard skills are automated and soft skills are needed, the next generation is in big trouble ». Nationalpost.com, 25 octobre 2019. https://nationalpost.com/news/world/artificial-intelligence- will-demand-soft-skills-from-future-generations-they-wont-have-them-though.
Loic Richard :
Artificial Intelligence and Human Capital
My AI, my new assistant !